Une
projection-débat du film comme des lions en présence de la
réalisatrice (Françoise Davisse) a eu lieu à Clermont-Ferrand au
cinéma le Rio le 25 mars 2016.
Dans
ce cadre une interview téléphonique a été réalisé sur radio
Arverne à écouter : ICI
Le
film peut être toujours visionner au cinéma le Rio (rue sous les
Vignes) à Clermont-Ferrand
pour
connaître les horaires : site du cinéma :
http://www.cinemalerio.com
Bande
d'annonce du film
Cette
interview est paru dans l'anticapitaliste hebdo du
31 mars 2016 : lire l'article : ICI
Pour
s 'abonner à la presse du NPA : ICI
Entretien.
Auteur de films documentaire, Françoise Davisse a réalisé Comme
des lions, sorti en salle le
23 mars 2016,
film consacré à la grève des ouvriers de PSA Aulnay (93).
Les
propos ont été recueilli par Robert Pelletier
« Montrer
une “vraie” lutte de l’intérieur.
Des
gens qui se battent vraiment, qui débattent »
Pourquoi
as-tu choisi de faire un film sur des ouvriers grévistes ?
Une
question courait dans les débats du début de la campagne
présidentielle 2012 : « Que peut-on faire ?»
Alors,
pour moi, l’idée de rencontrer des gars qui se battent, qui
résistent, m’est apparu comme une évidence. Je voulais montrer
une « vraie » lutte de l’intérieur. Pas des gens qui
demandent des aides au gouvernement. Des gens qui se battent
vraiment, qui débattent.
Le
scénario était écrit par la direction. Je voulais filmer tout le
monde. Les gens de la CGT étaient d’accord. J’aurai bien voulu
suivre Montebourg et le SIA mais ça sera plus difficile. Puis j’ai
refusé de me plier à l’obligation d’avoir l’autorisation de
la direction pour filmer les travailleurs, la lutte.
J’ai
rencontré Montebourg dans un nouveau gouvernement, avec un ministère
au nom nouveau, pour savoir ce que fait ce ministère dans le cas
d’une fermeture d’usine. Pas nécessairement pour critiquer mais
pour montrer la stratégie de chacun. Sa réponse fut : « Ah,
non, l’automobile c’est pas bon pour mon image ».
En fait, le gouvernement comme la direction de PSA ne sont que dans
la « communication »...
Du
coup, dans le film, on ne voit le gouvernement qu’en face des
salariés, et les communications de la direction sont
« représentées » par des cartons qui annoncent ses
décisions.
C’est
une multinationale, pas le petit patron du coin… On ne voit jamais
les responsables. Les seuls qui sont présents, ce sont les cadres,
« les pots de fleurs ».
Du
coup, tu ne filmes pratiquement que les salariés ?
Dès
le début, j’ai filmé la réunion hebdomadaire de la CGT en
expliquant mon projet. Rapidement ils ne me « voyaient »
plus. Je bouge beaucoup, ma caméra est « partout », et
je suis seule, il n’y a pas toute une équipe qui débarque. Je
fais tout moi-même, je suis aussi au travail.
Plongés
dans leurs préoccupations, ils m’oublient. Nous sommes dans un
rapport de confiance parce que je leur ai expliqué ce que je fais.
Eux
fonctionnent en comité de grève, très démocratique. Il n’y a
rien de caché, même quand ça bastonne, qu’ils s’engueulent
entre eux. Ça se sent dans leur manière d’être. Ils disent ce
qu’ils pensent et n’ont aucune raison de cacher quoi que ce soit.
On
le voit lors des interviews de la fin, où tout le monde est à
l’aise, comme des gens qui ont passé quatre mois de bagarre
ensemble.
Qu’est-ce
que tu retiens de cette lutte ?
C’est
l’intelligence.
La
construction de la pensée collective.
Tu
prends des décisions ensemble que tu assume ensemble. Ce n’est pas
juste un exercice de démocratie. Il s’agit de mettre en œuvre ce
qui a été décidé collectivement. Ce sont des moments intenses
avec une écoute terrible, pas un bruit.
C’est
la capacité de penser, d’exprimer sa pensée, ses doutes même à
200, 300. Dans les comités de grève mais aussi face à Montebourg,
à des chefs de cabinet. Des ouvriers, des immigrés, qui
argumentent, qui regardent droit dans les yeux, qui ont quelque chose
à dire, qui ne sont pas dans le slogan. Ils se prennent vraiment en
charge.
Les
équipes dirigeantes de grosses boîtes comme PSA ont un savoir-faire
qu’ils transportent d’ailleurs dans d’autres entreprises. Là
on voit le savoir-faire d’en face, celui des ouvriers : pas de
panique, on est accusé de violence ? On en discute : est-ce
utile ?
On
retourne vers les non-grévistes, on cherche à ne pas s’en couper.
Une semaine avant la fin des négociations, la boîte envoie 18
lettres de licenciement non pas de syndicalistes, mais de grévistes.
Provocation
pour faire capoter la négo ? Face aux CRS, pas un coup de poing ne
part : la décision a été de ne pas taper. On se serre les
coudes.
Dans
le déroulement de la lutte, on ne perçoit pas de doute, mais aussi
une fin inéluctable ?
Y
a toujours une fin, mais ceci dit, ils ont gagné. Ça m’agace un
peu d’entendre qu’ils auraient perdu. Ils ont gagné plus de
10 millions d’euros. 3 mois d’indemnités en plus, en plus
pour tous, un plan seniors...
Bien
sûr, ils n’ont pas gagné sur la fermeture. Ce n’est pas faute
d’être allés dans les autres boîtes. Ce n’est pas faute non
plus d’avoir fait des propositions, comme le maintien de la C3.
Ils
ont expliqué aux salariés des autres usines les conséquences, ils
sont rentrés dans les usines. Mais tout le monde est dans l’état
d’esprit « si ça tombe sur les autres, je m’en sors»...
La
question des fermetures d’usines ne concerne pas seulement ceux
dont l’usine ferme. C’est une question politique globale,
nationale. Personne ne peut l’empêcher tout seul.
Le
débat est toujours orienté à la manière de Montebourg : « faut
voir si les raisons sont bonnes »... Pour moi, il faut poser
la question à l’envers : on a besoin d’un travail, c’est
plus important que d’augmenter la marge. Il faut poser la question
du maintien de l’usine, du partage du travail, de réduire les
cadences.
Dans
le projet de PSA, c’est le contraire : il s’agissait de monter
le taux Harbour (indicateur interconstructeurs d’occupation de
l’outil industriel) à plus de 100 %.
Avec
le maintien d’Aulnay, ils étaient à 100 %, avec la fermeture
d’Aulnay, c’était 112 % en France et 127 % en Espagne. Après
la fermeture, il y a encore eu 17 000 emplois supprimés dans le
groupe. Ils n’ont jamais laissé tomber la question de la fermeture
mais pris en considération toutes les revendications écrites par
1 800 salariés.
Le
film n’est pas juste la chronique de PSA, il plonge au cœur de ce
qu’est toute lutte et ses passages obligés : l’attitude des
autres syndicats, les accusations de violences, le rapport à l’État,
la question du médiateur, des non-grévistes, car c’est aussi
grâce à ceux qui ne font pas grève que l’usine ne tourne pas.
On
n’est pas dans la représentation d’une grève qui doit être
majoritaire. Les grévistes sont minoritaires mais l’usine vit à
l’heure de la grève. C’est une leçon, y compris pour les
non-grévistes qui voient des ouvriers au pouvoir pendant quatre
mois.
Ça
se sent encore maintenant, pas seulement chez les grévistes.
D’ailleurs il y aurait sûrement un très beau film à faire sur
les conséquences d’un plan social.
Ceux
qui ont lutté, ceux qui n'ont pas lutté, deux ans après… les
changements dans la vie des gens : l’évolution de leurs
conditions matérielles, vendre sa baraque, faire trois heures de
bagnole pour aller au boulot.
Continental,
Goodyear, Nous ouvriers, c’est le retour du film sur les ouvriers ?
Depuis
1995, il y a une recherche de « Qu’est-ce qu’on peut
faire ? » Quand les gens, nombreux, voient le film,
débattent, ils sont super enthousiastes. Mais tu fais le film à tes
frais, car reste l’idée que filmer des ouvriers fait qu’on va
pleurer, alors que dans mon film, ce n’est pas le cas.
Dans
le cinéma français, quand les personnages étaient des prolos,
c’était plutôt marrant, énergique, moqueur. J’espère qu’avec
ce film, avec aussi Nous
ouvriers,
ça peut donner envie de reprendre ce chemin.
Chaque
film sur une lutte est différent. Celui-ci utilise la lutte pour
montrer, de l’intérieur, ce qu’il se passe. On sent un petit
mouvement, un intérêt autour des questions : que peut-on faire,
avec la multiplication des PSE ?
Face
à la résignation, il faut montrer que ceux qui luttent ne sont pas
bizarres. Rester « un bon opérateur » en faisant
confiance aux patrons, ça rend faible. Quand tu as franchi le pas,
quand tu es entré dans la lutte, tu vas vachement mieux !
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire