Tribune
de Julien Salingue (docteur en science politique et membre du NPA)
parue dans libération.fr le 11 août 2015
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Photo: Photothèque Rouge / JMB
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La
Mairie de Paris organise une grande fête sur les bords de Seine en
l’honneur de Tel-Aviv : il s'agit d'une opération éminemment
politique, qui vise à blanchir Israël de ses crimes quotidiens.
En
Cisjordanie, les exactions commises par les colons israéliens se
multiplient, jusqu’à avoir, récemment, entraîné la mort d’un
bébé et de son père dans l’incendie criminel de leur maison.
À
Gaza, un an après l’offensive meurtrière de l’été 2014, le
blocus se poursuit, et l’on vient d’apprendre dans un rapport de
l’ONU que pour la première fois depuis 50 ans, la mortalité
infantile était en hausse.
À
Paris, pour dénoncer ces crimes, on organise une grande fête sur
les bords de Seine, en l’honneur de Tel-Aviv. Vous avez dit
indécence ?
TEL-AVIV,
C’EST ISRAËL
«Mais
il ne faut pas confondre Tel-Aviv, une ville, et Israël, un État
!», disent-ils. L’argument pourrait faire sourire si la situation
n’était pas aussi grave.
Doit-on
rappeler aux organisateurs de l’initiative que Tel-Aviv est la
seule capitale internationalement reconnue d’Israël, siège de la
quasi-totalité des ambassades ?
Doit-on
préciser que l’agglomération de Tel-Aviv (le «Gush Dan») est de
loin la plus peuplée du pays, avec près de 3.5 millions
d’habitants, soit près de la moitié de la population du pays ?
Doit-on
enfin rappeler que Tel-Aviv est la capitale économique et financière
d’Israël, et aussi sa capitale technologique, où sont élaborées
nombre de petites merveilles à destination de l’armée israélienne
?
Non,
Anne Hidalgo,
Tel-Aviv n’est pas une république autonome.
«Mais
Tel-Aviv est de gauche, et elle est opposée au gouvernement et aux
colons, qui la détestent !», disent-ils encore. Si certains
considèrent qu’un maire membre du Parti travailliste – partie
prenante, au cours des dernières années, de diverses coalitions
avec la droite et l’extrême-droite – est de gauche, c’est leur
problème.
Mais
si Tel-Aviv était à ce point en rupture avec le gouvernement
Netanyahou et les colons, et si «Tel-Aviv ce n’est pas Israël»,
comment comprendre le soutien apporté à Tel-Aviv sur Seine par le
Ministère du tourisme israélien et l’ambassade d’Israël en
France, et par des officines aussi amoureuses de la paix que le CRIF
ou, pire encore, la Ligue de Défense Juive ?
Non,
Bruno Julliard,
Tel-Aviv n’est pas la Commune de Paris.
BLANCHIR
ISRAËL DE SES CRIMES
Il
faut être naïf, aveugle ou de mauvaise foi pour ne pas comprendre
que, pour l’État d’Israël et ses soutiens, l’initiative
Tel-Aviv sur Seine est une opération éminemment politique, qui vise
à blanchir Israël de ses crimes quotidiens, en donnant à voir le
visage «ouvert» et «festif» d’un État dont l’image est de
plus en plus dégradée sur la scène internationale.
Et
on pourra conseiller, à ceux qui nous expliqueraient que le tourisme
n’a rien à voir avec la politique, de méditer ces propos d’Hila
Oren, responsable du Tel-Aviv Global & Tourism, organisme public
en charge du développement de la ville : «La marque Tel-Aviv est un
outil de contournement du conflit [car] Israël est un label
difficile à vendre».
Notre
opposition à l’initiative de la Mairie de Paris est donc une
opposition politique à une initiative politique. Il s’agit de
refuser qu’à l’heure où le blocus de Gaza et la colonisation de
la Cisjordanie se poursuivent, on célèbre Tel-Aviv et Israël sur
les bords de Seine dans une ambiance chaleureuse et festive.
Il
s’agit de rejeter toute tentative de blanchiment d’un État qui,
tout en piétinant quotidiennement les résolutions de l’ONU et le
droit international, essaie par tous les moyens de séduire les
opinions publiques occidentales par des opérations de communication
bien huilées. Il s’agit de s’opposer à la banalisation des
invitations lancées à des institutions dont les plus hauts
responsables devraient être traduits devant les tribunaux
internationaux.
QUI
EST «IRRESPONSABLE» ?
L’un
des aspects les plus scandaleux de la polémique est que ce sont ceux
qui dénoncent l’initiative qui sont traités d’
«irresponsables».
Alors
qu’être irresponsable, c’est justement participer à une
opération de blanchiment d’Israël un an pile après la meurtrière
opération contre Gaza, qui avait soulevé l’indignation aux quatre
coins du monde.
Être
irresponsable, c’est déclarer, comme Patrick Klugman, adjoint
d’Anne Hidalgo à qui on fait remarquer qu’il y a un an, l’armée
israélienne tuait quatre enfants sur une plage de Gaza, qu’il
«récuse» toute dimension symbolique car «la mort de ces quatre
enfants a eu lieu en juillet et pas en août».
Être
irresponsable c’est refuser d’entendre les légitimes
protestations contre l’événement et vouloir le maintenir à tout
prix, au risque de transformer les bords de Seine en camp militaire.
Mais
les pires des irresponsables sont, une fois de plus, ceux qui
amalgament la critique d’Israël à l’antisémitisme.
Répétons-le
: nous ne tolérons aucun antisémitisme dans nos rangs et luttons
farouchement contre tous ceux qui tentent d’instrumentaliser la
question palestinienne à des fins antisémites.
Mais
répétons-le aussi : ceux qui laissent entendre que critiquer
Israël, c’est critiquer les Juifs, jouent exactement la même
partition que ceux qui veulent rendre les Juifs responsables de la
politique des dirigeants israéliens, en opérant une identification
entre les uns et les autres.
Alors
non, nous ne nous laisserons pas intimider par ces irresponsables.
Oui,
nous exigeons de la Mairie de Paris qu’elle fasse marche arrière.
Et
oui, nous continuerons de critiquer Israël, État hors-la-loi, y
compris en défendant le boycott des institutions israéliennes, à
défaut de sanctions adoptées par les États censément garants du
droit international.
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